Changer le monde 

Quelle est la bonne question ?

La gestion de l’échec, une culture d’entreprise :

Echec et dame

 

Les nouveaux produits sont réalisés le plus souvent par des équipes projet. Leur objectif est de conserver de la flexibilité et de l’agilité, en cherchant à impliquer au maximum le client dans la conceptualisation du produit et sa commercialisation. La relation avec le département marketing de l’entreprise est alors essentielle. Lors d’un échec de quelle que nature qu’il soit, sa perception et sa gestion est souvent une affaire de culture.

Le cas des sociétés Françaises :

L’un des maux des entreprises Françaises est la diffusion de discours paradoxaux venus des hautes sphères composés d’injonctions telles que « Sois innovant mais évite de faire trop d’erreurs », « tu as ma confiance mais si tu commets une erreur tu seras congédié ». L’échec est ainsi très mal vu professionnellement, du reste souvent perçu comme une non atteinte des objectifs fixés. Or comment réussir si nous ne pouvons pas échouer ?

Les entreprises françaises sont à la recherche d’une forme de perfectionnisme, cherchant souvent à tout prévoir ou planifier par avance. Une démarche souvent intellectuelle au détriment de l’opérationnel ; principe qui ne fait que ralentir leur succès sur le marché et qui va purement à l’encontre des principes prônés par les philosophies agiles et lean : « on ne connait le marché qu’en
allant le tester » martèle Marc Giget, fondateur de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation… L’analyse et le retour du marche est fondamentale.

Selon Yves Richez, auteur de « Petit éloge du Héros », « la perfection, […] est une invention de Platon qui ne supportait pas ce qui était ondoyant et courbe. Sa haute estime de l’idéal et de la vertu lui a fait inventer la perfection, comme forme parfaite à l’image de Dieu. Si l’homme est parfait, il le sera comme le sont les mathématiques, qu’il détourne de leur aspect pragmatique, pour en faire un modèle d’abstraction. Pas facile de vivre aujourd’hui avec un tel héritage : soit beau, soit bon, soit parfait ! »

Force est de constater que les entreprises françaises souffrent d’une rigidité platonicienne hérité du passé qui ne semble pas être remise en cause chez la plupart de nos dirigeants actuels. C’est avant tout oublier les apprentissages des entrepreneurs qui ont réussi : « Le succès représente 1% de votre travail ; les 99% restants sont ce qu’on peut appeler des échecs » Soichiro Honda fondateur de la Honda Motor Company.

Cette rigidité est souvent accentuée par une philosophie judéo-chrétienne qui se doit de punir celui qui a fauté. Lors des échecs commerciaux de produits ou services, les chefs de projets sont souvent stigmatisés, mis de coté, mis au placard et leurs carrières sont alors fortement ralenties, voir arrêtées. Certains membres des équipes peuvent également avoir tendance à personnaliser les échecs du projet mettant en oeuvre, consciemment ou inconsciemment, une véritable stratégie d’auto-sabotage, parfois d’auto-flagellation. Les conséquences sont bien connues : dépression, perte de sens, perte de l’objectif, baisse de la performance…

L’échec étant vu comme un élément négatif voire profondément traumatisant en France, il entraîne une véritable tétanie dans les entreprises qui préfèrent alors limiter les innovations de rupture pour garantir la sécurité de leur budget annuel et sécuriser les redistributions aux actionnaires. Il est facile de faire une comparaison avec le lapin, qui face à des phares de voiture reste tétanisé, au milieu de la route attendant son triste sort… les conséquences sont bien connues… à force de rester dans sa zone de confort, la rentabilité commerciale périclite.

Dans l’industrie automobile, Louis Schweitzer, PDG de Renault de 1992 à 2005 confirme cette peur profondément française : « à chaque fois que nous avons échoués, cela est du à notre frilosité à prendre des risques, à notre crainte de l’échec qui nous a poussé a des solutions insuffisamment innovantes ».

Il est alors aisé de comprendre lorsqu’un échec survient, que les entreprises cherchent à oublier le plus rapidement les erreurs du passé préférant se concentrer sur les réussites du présent. En 1967, Dassault produit le MD 320, bimoteur léger destiné à emmener à son bord 8 à 12 passagers pour des usages civils ou militaires. Equipé de deux turboréacteurs Turboméca de 870 chevaux, il hérite d’un certain nombre de caractéristiques dérivées de celles de ses grands frères : le « mystère 20 » influence la qualité de sa
voilure alors que son aérodynamisme sera dérivée du « Communauté ». Le volume de la cabine et l’autonomie sont identiques à ceux du mystère 20. La vitesse de croisière est de 500 kilomètres par heure alors que celle-ci atteint la barre des 800 kilomètres par heure chez le Mystère 20. L’atout commercial réside dans son prix : il est moitié moins cher que le mystère 20.

A la même époque Dassault éprouve de sérieux doute sur l’avenir commercial des turbopropulseurs. L’état major de l’armée de l’air et les clients de l’aviation d’affaire semblant préférer les moteurs à réaction, le programme MD 320 Hirondelle, dernier avion à hélices de la société est abandonné au profit des Mystère Falcon.

Au brésil le succès commercial d’Embraer est largement connu. Cette société a réussi à s’imposer à un niveau mondial grâce à la qualité de ses appareils. Le choix stratégique de cette société a été de développer des avions régionaux, d’abord avec des avions dotés de turbopropulseurs comme le MD 320, puis des jets. Dassault a certainement raté le virage de l’avion léger équipé de turbopropulseur en proposant très tôt une gamme d’avions d’affaire au profit de société comme Embraer. Aujourd’hui, peu de jeunes cadres et ingénieurs de Dassault ont connaissance du programme MD 320, cette erreur stratégique de Dassault ayant entraîné beaucoup de souffrances dans les équipes impliquées.

De manière similaire, les patrons français ayant vécus la faillite de leur entreprise et déposé le bilan sont souvent stigmatisés par leur écosystème. Souvent considérés comme incompétents voire accusés d’escroquerie pour certains, ils peinent à faire redémarrer leur carrière. Certains d’entre eux vont même jusqu’à se voir refuser les prêts bancaires.

Le cas des sociétés Anglo-saxonnes :

Dans les sociétés Anglo-Saxonnes, l’échec est plus souvent perçus comme un élément constructif permettant le succès, au moins dans le discours « Chez Google, nous célébrons nos échecs» ; « Nous sommes une compagnie où il est tout à fait normal d’essayer quelque chose de très difficile, de ne pas réussir, d’apprendre de cet échec et de l’appliquer à un autre projet » (Eric Schmidt, président du conseil d’administration de Google).

Dans son livre « open innovation » Charlene Lee rapporte un propos édifiant sur la philosophie de Google face aux échecs. Fortement innovante, elle a compris très tôt que pour réussir, il fallait essuyer des échecs. Leur devise est : « échouer rapidement, échouer intelligemment ». Cette société réussit profondément dans la capitalisation des apprentissages et des expérimentations.

Le magazine Fortune raconte l’histoire de Sheryl Sandberg, vice-présidente des Ventes et opérations internationales en ligne (Global Online Sales and Operations) chez Google. Elle s’est également impliquée dans le lancement de la branche philanthropique de Google, Google.org et dans Adwords. Elle commit une erreur qui a couté plusieurs millions de dollars à la firme. Tout ce qu’elle a dit à propos de son erreur fut : « bad decision, moved too quickly, no controls in place, wasted some
money ».

Lorsqu’elle prit conscience de l’ampleur de la perte, elle décida d’en référer à Larry Page, cofondateur de Google et actuel PDG. « God, I feel really bad about this » dit Sandberg à Page. Celui- ci après avoir accepté ses excuses lui rétorqua : « I’m so glad you made this mistake. Because I want to run a company were we are moving too quickly and doing too much- not being too cautious and doing too little. If we don’t have any of these mistakes, we’re just not taking enough risk. »

Nous comprenons, que la fibre d’entrepreneur de Larry Page rayonne dans toute l’entreprise. La prise de risque est une valeur fondamentale transmise par le management. En s’intéressant à l’entreprise on comprend rapidement que cette valeur est profondément incarnée par l’ensemble des collaborateurs largement encouragés à utiliser leurs compétences d’intrapreneur au quotidien. Google permet à ses collaborateurs de consacrer 20% de leur temps de travail au développement de projets personnels; certains seront alors vendus à leur entreprise. L’innovation et le goût des défis ambitieux sont au cœur de la culture de Google.

Cette philosophie de capitalisation de l’échec est largement partagée par l’ensemble des entreprises Anglo-Saxonnes qui ont très vite compris que « punir l’échec est le meilleur moyen pour que personne n’ose » (Jack Welch ancien président de General Electric).

L’échec et l’innovation disruptive

Water drop splashing

L’innovation disruptive, en tant que rupture des habitudes de consommation d’un ensemble de consommateurs, implique une fracture fondamentale des pratiques de l’entreprise pour être innovante.

Il s’agit, pour elle, de créer un « océan bleu » là où différents compétiteurs s’arrachent les miettes d’un gâteau devenu trop petit.

La Wii illustre parfaitement la création d’océans bleus (terme par ailleurs inventé par W. Chan Kim et Renée Mauborgne, dont la théorie est largement exposée dans leur ouvrage éponyme).

Le marché des consoles de jeux vidéo est trusté par des compétiteurs puissants. Playstation, Xbox, Steam, Android, Nvidia, Gamestick, Ouya jouent dans un océan rouge du sang symbole de leur guerre commerciale. Nintendo a su créer un territoire nouveau dans lequel la compétition est inexistante (océan bleu), grâce à une nouvelle interface entre le joueur et le jeu.

Alors que ses concurrents améliorent la qualité graphique de leurs consoles, Nintendo fait un pari disruptif en partant d’un postulat tranché : « ce qui renouvelle le plaisir du jeu n’est pas sa qualité graphique mais la manière d’y jouer ». La marque propose une commande simple permettant la détection de mouvements. Concept disruptif lors du développement de la console en 2001 – concept toujours disruptif lors de son lancement commercial en 2006.

Cette commande apporte un certain nombre d’atouts expliquant la réussite commerciale de la Wii : au fil des générations de consoles, le nombre de boutons sur les manettes n’a cessé d’augmenter. L’accès au jeu est rendu difficile voire anxiogène pour les joueurs à la recherche d’un simple divertissement.

Nintendo, grâce à une console bon marché (deux fois moins chère que ses concurrentes – 250€ en Europe – 168€ au Japon) et une manette épurée dirigée par un simple mouvement du poignet, a réussi à élargir son segment de clientèle en la rendant accessible à des personnes non sensibilisées aux jeux vidéo.

Le succès de la Wii s’explique également par le type de jeux qui se veulent plus « familial » que ses concurrents. Elle rend par ailleurs le consommateur particulièrement actif l’obligeant à mimer un certain nombre de mouvements. Ceux-ci sont reproduits en temps réel par l’avatar sur l’écran. L’expérience corporelle du joueur ajoute du plaisir physique dans un monde purement virtuel.

Dans l’exemple de la Wii, lorsque Nintendo a commercialisé cette console proposant un usage nouveau, le pari était extrêmement risqué. Les analyses prédictives des comportements des consommateurs pour un nouveau produit s’avèrent être d’une extrême imperfection.

Même s’il a cherché à sécuriser la commercialisation du produit, Satoru Iwata (PDG de Nintendo depuis 2002) n’était absolument pas en mesure d’assurer le succès de son produit à sa sortie, le 19 novembre 2006.

Comme l’illustre cet exemple, l’innovation disruptive, d’une manière générale, nécessite de prendre un risque important. L’entreprise doit accepter de jouer sur le terrain de l’incertitude. Dans le périmètre de son nouveau marché, aucun historique de comportements n’est disponible.

La probabilité de réussite pour un projet disruptif est impossible à modéliser. Il n’y a pas de cadre de référence à extrapoler. Les experts de l’innovation s’accordent sur le risque d’échec très élevé dans les projets de rupture : 9 projets sur 10 sont des échecs. Cette statistique est ramenée à 2 projets sur 3 pour les innovations de type incrémental. Et ces chiffres déjà sévères ne comprennent que les expérimentations successives et cumulatives d’une même entreprise. Il faut un effet d’apprentissage d’une tentative à l’autre pour atteindre de tels taux de succès.

A propos des produits de la marque Apple, Marc Giget, fondateur de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation, affirme que « 80% des produits lancés par la firme à la pomme ont été de cuisant échecs. A chaque fois, cela lui coûte en moyenne 50 millions de dollars. Mais ses grands succès compensent largement. » C’est le moins qu’on puisse dire.

Innovation et technologie

tiger

Quelle posture faut-il adopter vis-à-vis de la technologie ? Faut-il miser sur une technologie de rupture ? Innover nécessite-t-il plus de technologie et une technologie plus performante ?

Koursk, le 5 juillet 1943, le « Tigre » de Michael Wittmann, prend le commandement de l’offensive blindée allemande. L’ordre d’attaquer est donné par Hitler. Le nombre des chars de type Tigre, la toute nouvelle génération de blindés allemands, est jugé suffisant. Ils sont prêts à enfoncer les lignes Russes. Après 2 longs mois d’attente, les fauves d’acier sont libérés.

Dès le premier jour Wittmann détruit 15 chars ennemis. La puissance du Tigre surpasse de loin les chars T34 Russes. Son blindage permet d’encaisser les coups jusqu’à une courte de distance (700m) alors qu’il est capable, pour une attaque similaire, de détruire un char T34 à 1300m et un Shermann américain à 1800m. C’est une revanche. En 1941, lors de l’opération Barbarossa ouvrant le front de l’Est, le T34 russe avait supplanté le panzer IV. Ce symbole de la puissance Allemande, grand vainqueur des offensives sur la Belgique et la France, avait vu son image écornée. A Koursk, le 5 juillet 1943, le Tigre est un redoutable adversaire.

Pour son palmarès éloquent, le champion Michael Wittmann est récompensé par le führer lui-même. Au cours de la bataille de Koursk, 117 chars et véhicules blindés sont détruits par son équipage. Cet exploit, surement pour partie exagérée par la propagande allemande, a clairement prouvé la supériorité du Tigre contre les chars Russes. Au cours du débarquement américain en juin 1944, les exploits de Michael Wittmann ne démentent pas cette supériorité technologique.

Les exploits de ce héros allemand offrent un visage trompeur de l’innovation. Ce récit aveugle le jugement, il peut se résumer avec la formule suivante : « la toute-puissance de la technologie ». L’amalgame innovation et technologie est très fréquent. La technologie permet de nouvelles propositions de valeur. Elles ont pour conséquence des avantages concurrentiels indéniables, mais la technologie ne fait pas tout.

Les dimensions de l’innovation sont multiples, qu’il s’agisse d’un changement de processus engendrant l’optimisation de la production, de la couverture d’un besoin délaissé, la création d’un marché nouveau. Sans rechercher l’exhaustivité dans les dimensions de l’innovation, un changement radical ou un avantage concurrentiel se produit souvent à technologie égale. L’apparition de Facebook n’appelle pas des technologies différentes de ses concurrents mais une manière de traiter un besoin qui fait la différence.

L’ordinateur portable a été possible grâce à des disques durs plus petits qui ont pu être embarqués grâce à leur taille. Leur mise au point n’a pas nécessité de technologie particulière, il a juste s’agit de réduire le diamètre du disque de 5 pouces ¼ à 3 pouces ½. Mais cette révolution simplissime n’a pas été anticipée par les ténors du marché du disque dur à l’époque, ni recherchée comme axe de diversification. De nouveaux acteurs, jusqu’alors inconnus ont pu se positionner sur le 3 pouce ½ et rafler tout le marché du disque dur pour le plus grand désespoir des leaders installés.

En fait, les apparences sont souvent trompeuses. La bataille de Koursk n’est pas une victoire. Les allemands enfoncent certes les lignes russes d’une centaine de kilomètres. Hitler n’y voit que l’efficacité de ses machines de guerre, les Tigres. Pourtant il ne fera que reculer sur le front Russe à partir de cette date et sa stratégie technologique est pour partie responsable de cet échec.

L’innovation de guerre, Russe et Américaine d’une part et Allemande d’autre part suivent des chemins différents. La rareté des ressources n’en est pas la seule explication.
Au bilan en 1945, les Allemands ont produit environ 10 000 chars, les Russes plus de 40 000 et les américains 50 000. Ces chiffres pourraient sembler anodins. Après tout, avec une machine qui supplante technologiquement celle de l’adversaire, il est possible de prendre l’avantage. En regardant plus précisément les chiffres, chez les Russes ce sont 40 000 T34 déclinés en évolutions progressives du même modèle. Elles incluent des améliorations incrémentales : augmentation des blindages, fiabilisation de certains composants et ajouts, à la marge, de systèmes embarqués. La situation américaine est similaire.

Sur les chiffres allemands la tendance est très différente. S’il y a plus de 8000 chars de type Panzer IV, le grand vainqueur de l’offensive en France, le Tigre pour sa part cumule 1350 unités produites à partir de 1942. Il représente un frein très net dans la production d’unités blindées allemandes. D’un autre côté, les chaines de production des T34 et des Shermanns s’accélèrent avec la simplification des modes de production et des modèles. L’innovation russe et américaine est centrée sur le processus de production et la capacité à pouvoir produire du nombre. Il s’agit d’une guerre industrielle, et c’est la dimension industrielle qui donne l’avantage compétitif !

Mais alors pourquoi les usines allemandes ne suivent pas la cadence ? Problème de ravitaillement ? Destruction des usines par les bombardements ? Certes, mais il y a une explication plus directe liée à la nouveauté technologique. Si elle apporte des avantages compétitifs indéniables, dans un premier temps, une nouvelle technologie est généralement complexe à mettre en œuvre. C’est le cas du Tigre pour une masse de 60 T contre 20 T pour un Panzer IV, le passage de génération s’accompagne d’une complexité croissante presque insurmontable dans les chaines de production. C’est un bijou de mécanique trop complexe.

Après la limitation en nombre, le deuxième effet de cette complexité impacte la fiabilité en opération. Lors de la bataille de Koursk, les Tigres allemands sont souvent sabotés par leurs propres équipages pour éviter qu’ils tombent dans les mains de l’adversaire. La raison ? Des pannes fréquentes les rendent vulnérables et susceptibles d’être capturés.

Sans opposer l’innovation technologique à d’autres formes d’innovation, l’expérience américaine dans la course à l’armement blindé focalise l’attention sur une innovation de processus qui fournit l’avantage sur le bijou technologique allemand. Les Shermanns sont moins puissants que les Tigres, qu’à cela ne tienne, sur le même châssis, à partir des mêmes chaînes de production, les américains mettent en place un système de différenciation tardive. Ils équipent 2500 châssis classiques d’une tourelle plus puissante capable de faire face à un Tigre et les spécialisent dans cet objectif. La guerre industrielle est gagnée !

Sans se tromper de conclusion, cet exemple ne remet pas en cause l’importance de la technologie dans l’innovation pour l’amélioration d’une proposition de valeur. Elle permet juste d’en relativiser sa toute-puissance. Elle indique qu’une entreprise voulant favoriser l’innovation doit en explorer toutes les dimensions. Lors de la mise à disposition d’un cadre technologique nouveau : poudre, machine à vapeur, moteur à explosion, internet, drone… C’est l’exploration de l’usage ou l’évolution des processus de réalisation qui permettent de nouvelles propositions de valeur. Leurs conséquences remettent en cause les pratiques existantes. La poudre peut par exemple remplacer la pioche dans les mines.

Changement radical

Closeup of a martial arts man tying his black belt

L’accélération du changement devient de plus en plus évidente et cela au-delà des sociétés technologiques. La presse, la banque, la santé et bientôt les modes de transport sentent la tempête monter. Il est probablement temps d’en réfléchir la mécanique humaine.

En nous concentrant par exemple sur la fermeture d’une grande chaîne de distribution du loisir culturel, nous nous intéressons uniquement aux conséquences humaines très médiatiques et dramatiques de cette accélération, mais nous abandonnons des leviers. Nous manquons des opportunités de mieux apprivoiser les circonstances du changement. Nous oublions de nous intéresser aux causes de notre incapacité très humaine à nous adapter. Nous gardons à l’esprit des images simplistes de la fin du voyage.

Avant d’en arriver là, il y a probablement d’autres étapes qui peuvent changer la donne. Avant tout, l’entreprise est un véhicule humain. La psychologie, notamment celle du changement, n’est  utilisée qu’au moment des crises pour panser les plaies, rarement avant. Elle fournit pourtant quelques outils.

Le cycle du « deuil » par exemple, est un modèle pratique pour comprendre les phénomènes rencontrés sur le terrain, en cas de changement majeur ou radical. C’est une suite d’étapes qui sont observées chez les personnes qui subissent la perte d’un être proche, la perte d’emploi, ou la nouvelle d’une maladie grave… Ce cycle passe par différentes phases :

  • La surprise ou plutôt sidération,
  • Le déni et la colère,
  • La dépression,
  • L’acceptation,
  • La reconstruction.

Notez que les 3 premières étapes donnent lieu à des comportements au mieux inactifs au pire contre productifs comme la colère. Pour une entreprise, la phase de changement radical est donc délétère.

Par exemple, elle se rend compte tardivement avec surprise que le marché du contenu est attaqué par des sociétés internet. Elle tente alors de minimiser l’impact du phénomène en le raillant et en considérant que la solution concurrente ne sera jamais rentable. Parfois elle essaie même mollement de se positionner et concurrence alors ses propres activités ce qui explique sa mollesse. Elle finit bien sûr par faire appel aux autorités pour la protéger avec l’appareil législatif car le changement est injuste et destructeur d’emploi. Notez la colère et la peur. Lorsque l’acceptation et la reconstruction ne sont pas suffisamment rapides, les circonstances de rachat ou de démantèlement sont quasi systématiques.

La bonne nouvelle c’est que les grandes entreprises sont globalement riches et les impacts sont imperceptibles pendant un certain temps. Surtout, les marchés ont une certaine inertie par rapport au changement : les vaches à lait restent rentables quelque temps après l’émergence d’un concurrent sérieux. Celui-ci se construit tranquillement à l’ombre de performances trompeuses et de la condescendance. La mécanique est parfaite pour s’enfermer dans le déni.

En vérité, c’est une mauvaise nouvelle. Le CEO d’une entreprise technologique rassurait hier dans la presse sur la santé de ses activités en claironnant que le marché des DVD était encore très rentable. « so what ? » les indicateurs sont au vert sur un produit déjà mort. A quand les accusations de concurrence déloyale sur la « video on demand ».

Nous pouvons envisager le changement autrement, c’est un état permanent qui demande à être regardé comme tel. En minimisant l’énergie psychologique de la surprise on en vient à une sorte de surf qui utilise les vagues de changement à notre avantage.  (voir La Stratégie du dauphin (The Strategy of the Dolphin) par Dudley Lynch et Paul Kordis.)

Dans les arts martiaux, le senseï  rappelle constamment de tenir sa « garde ». Etre ici et maintenant c’est aussi être attentif à ce qui peut nous terrasser à tout moment. Pour en revenir au cycle du changement et à sa seule permanence, l’aïkido enseigne la fluidité du mouvement. Il ne s’agit plus d’un changement radical, d’un choc mais d’une énergie qui est sans cesse accompagnée et acceptée.

Vers l’Hollywoodisation de l’innovation.

Hollywood Boulevard with  sign illustration on palm trees

En écoutant les participants du grand prix de l’innovation ce lundi 2 décembre, certaines questions ou projections ont attiré mon attention. Des grandes entreprises y étaient présentes comme BNP Paribas, La Poste, Total, edf, JC Decaux…

Deux choses sont apparues comme des tendances majeures :

• La première, une prise de conscience a enfin atteint une frange de population de ces sociétés. La question du changement radical des modalités de leur métier est jugée évidente et y faire face est crucial.
D’expérience, toutes les couches managériales ne sont pas sensibilisées ni préparées. Et beaucoup de travail reste nécessaire pour porter la bonne parole aux décisionnaires.

• La seconde, l’outil « startup » est présenté par certaines de ces sociétés comme une providence. Pourquoi ? Deux raisons : Les startups proposent leur créativité pour traiter d’anciens problèmes avec de nouvelles solutions. La deuxième, il suffit de faire son marché pour les intégrer comme solutions dans ce monde sans cesse changeant.
Pour avoir vécu des intégrations de culture très différentes en entreprise, il y a sur ce point beaucoup à faire pour garantir un résultat efficace.

Bizarrement, la lecture d’un livre un peu ancien maintenant « Mainstream » de Frédéric Martel m’a donné une perspective étrange sur les deux tendances précédentes.

Dans son livre, Frédéric Martel décrit Hollywood comme un système multi-couches, multi-acteurs auto organisé. Depuis la très puissante MPAA (Motion Picture Association of America), en passant par les studios (plus ou moins indépendants), les sociétés formées uniquement pour certains films, les agents, les producteurs, les guildes d’artistes, les sociétés de production « indépendantes », on se rend compte qu’il n’y a pas un guichet unique responsable de la politique d’ensemble des films et que personne ne fait la tendance, mais plutôt tout le monde.

Fait étrange, la pression vécue par les studios, les acteurs, les auteurs… c’est celle du changement permanent.
De la télé au VHS, puis au DVD, blu ray, internet, blog, twitt, spoiler, jeux videos, licensing… pour la technologie. Mais aussi des modes : les dinosaures, les fourmis, les sex friends…
Et des intérêts du public très versatiles.
Pas de répit, cela nécessite une innovation permanente, pas d’un mais de tous les intervenants.

Le film américain c’est le Royaume de la créativité. Cela ne sert à rien de faire l’autruche sur ce point, au contraire tirons en un enseignement. Chaque société de l’écosystème Hollywood a une spécialité qui se justifie dans le tout. De la proposition de pitch et de scénario au recrutement des acteurs, à la couverture financière et évidemment le tournage, les effets spéciaux, la post-prod…

Dans ce flux, les grands studios achètent de la créativité à des sociétés qui en ont fait leur spécialité. Ces sociétés vivent une concurrence permanente qui les pousse à toujours plus de nouveauté pour plaire au public. Ces sociétés spécialisées transforment les idées et les adaptent aux couleurs du studio.

Pour en revenir aux deux tendances précédentes, on pourrait voir poindre des intermédiaires transformateurs d’innovation, adaptateur et intégrateur pour les sociétés installées aidant à accélérer la prise d’innovation. En fait c’est déjà en partie le rôle du Lab Parisien dans son aventure actuelle. Et d’autres sociétés interviennent plus tard dans la maturation de la start-up.

Evidemment le principe de Schumpter revenant à la surface particulièrement en ce moment, une question demeure : « comment gérer la destruction créatrice pour les services legacy de ses grandes sociétés ».
Et cette question est d’autant plus prégnante que cette destruction va s’accélérer avec l’accélération de leur innovation.