Les nouveaux produits sont réalisés le plus souvent par des équipes projet. Leur objectif est de conserver de la flexibilité et de l’agilité, en cherchant à impliquer au maximum le client dans la conceptualisation du produit et sa commercialisation. La relation avec le département marketing de l’entreprise est alors essentielle. Lors d’un échec de quelle que nature qu’il soit, sa perception et sa gestion est souvent une affaire de culture.
Le cas des sociétés Françaises :
L’un des maux des entreprises Françaises est la diffusion de discours paradoxaux venus des hautes sphères composés d’injonctions telles que « Sois innovant mais évite de faire trop d’erreurs », « tu as ma confiance mais si tu commets une erreur tu seras congédié ». L’échec est ainsi très mal vu professionnellement, du reste souvent perçu comme une non atteinte des objectifs fixés. Or comment réussir si nous ne pouvons pas échouer ?
Les entreprises françaises sont à la recherche d’une forme de perfectionnisme, cherchant souvent à tout prévoir ou planifier par avance. Une démarche souvent intellectuelle au détriment de l’opérationnel ; principe qui ne fait que ralentir leur succès sur le marché et qui va purement à l’encontre des principes prônés par les philosophies agiles et lean : « on ne connait le marché qu’en
allant le tester » martèle Marc Giget, fondateur de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation… L’analyse et le retour du marche est fondamentale.
Selon Yves Richez, auteur de « Petit éloge du Héros », « la perfection, […] est une invention de Platon qui ne supportait pas ce qui était ondoyant et courbe. Sa haute estime de l’idéal et de la vertu lui a fait inventer la perfection, comme forme parfaite à l’image de Dieu. Si l’homme est parfait, il le sera comme le sont les mathématiques, qu’il détourne de leur aspect pragmatique, pour en faire un modèle d’abstraction. Pas facile de vivre aujourd’hui avec un tel héritage : soit beau, soit bon, soit parfait ! »
Force est de constater que les entreprises françaises souffrent d’une rigidité platonicienne hérité du passé qui ne semble pas être remise en cause chez la plupart de nos dirigeants actuels. C’est avant tout oublier les apprentissages des entrepreneurs qui ont réussi : « Le succès représente 1% de votre travail ; les 99% restants sont ce qu’on peut appeler des échecs » Soichiro Honda fondateur de la Honda Motor Company.
Cette rigidité est souvent accentuée par une philosophie judéo-chrétienne qui se doit de punir celui qui a fauté. Lors des échecs commerciaux de produits ou services, les chefs de projets sont souvent stigmatisés, mis de coté, mis au placard et leurs carrières sont alors fortement ralenties, voir arrêtées. Certains membres des équipes peuvent également avoir tendance à personnaliser les échecs du projet mettant en oeuvre, consciemment ou inconsciemment, une véritable stratégie d’auto-sabotage, parfois d’auto-flagellation. Les conséquences sont bien connues : dépression, perte de sens, perte de l’objectif, baisse de la performance…
L’échec étant vu comme un élément négatif voire profondément traumatisant en France, il entraîne une véritable tétanie dans les entreprises qui préfèrent alors limiter les innovations de rupture pour garantir la sécurité de leur budget annuel et sécuriser les redistributions aux actionnaires. Il est facile de faire une comparaison avec le lapin, qui face à des phares de voiture reste tétanisé, au milieu de la route attendant son triste sort… les conséquences sont bien connues… à force de rester dans sa zone de confort, la rentabilité commerciale périclite.
Dans l’industrie automobile, Louis Schweitzer, PDG de Renault de 1992 à 2005 confirme cette peur profondément française : « à chaque fois que nous avons échoués, cela est du à notre frilosité à prendre des risques, à notre crainte de l’échec qui nous a poussé a des solutions insuffisamment innovantes ».
Il est alors aisé de comprendre lorsqu’un échec survient, que les entreprises cherchent à oublier le plus rapidement les erreurs du passé préférant se concentrer sur les réussites du présent. En 1967, Dassault produit le MD 320, bimoteur léger destiné à emmener à son bord 8 à 12 passagers pour des usages civils ou militaires. Equipé de deux turboréacteurs Turboméca de 870 chevaux, il hérite d’un certain nombre de caractéristiques dérivées de celles de ses grands frères : le « mystère 20 » influence la qualité de sa
voilure alors que son aérodynamisme sera dérivée du « Communauté ». Le volume de la cabine et l’autonomie sont identiques à ceux du mystère 20. La vitesse de croisière est de 500 kilomètres par heure alors que celle-ci atteint la barre des 800 kilomètres par heure chez le Mystère 20. L’atout commercial réside dans son prix : il est moitié moins cher que le mystère 20.
A la même époque Dassault éprouve de sérieux doute sur l’avenir commercial des turbopropulseurs. L’état major de l’armée de l’air et les clients de l’aviation d’affaire semblant préférer les moteurs à réaction, le programme MD 320 Hirondelle, dernier avion à hélices de la société est abandonné au profit des Mystère Falcon.
Au brésil le succès commercial d’Embraer est largement connu. Cette société a réussi à s’imposer à un niveau mondial grâce à la qualité de ses appareils. Le choix stratégique de cette société a été de développer des avions régionaux, d’abord avec des avions dotés de turbopropulseurs comme le MD 320, puis des jets. Dassault a certainement raté le virage de l’avion léger équipé de turbopropulseur en proposant très tôt une gamme d’avions d’affaire au profit de société comme Embraer. Aujourd’hui, peu de jeunes cadres et ingénieurs de Dassault ont connaissance du programme MD 320, cette erreur stratégique de Dassault ayant entraîné beaucoup de souffrances dans les équipes impliquées.
De manière similaire, les patrons français ayant vécus la faillite de leur entreprise et déposé le bilan sont souvent stigmatisés par leur écosystème. Souvent considérés comme incompétents voire accusés d’escroquerie pour certains, ils peinent à faire redémarrer leur carrière. Certains d’entre eux vont même jusqu’à se voir refuser les prêts bancaires.
Le cas des sociétés Anglo-saxonnes :
Dans les sociétés Anglo-Saxonnes, l’échec est plus souvent perçus comme un élément constructif permettant le succès, au moins dans le discours « Chez Google, nous célébrons nos échecs» ; « Nous sommes une compagnie où il est tout à fait normal d’essayer quelque chose de très difficile, de ne pas réussir, d’apprendre de cet échec et de l’appliquer à un autre projet » (Eric Schmidt, président du conseil d’administration de Google).
Dans son livre « open innovation » Charlene Lee rapporte un propos édifiant sur la philosophie de Google face aux échecs. Fortement innovante, elle a compris très tôt que pour réussir, il fallait essuyer des échecs. Leur devise est : « échouer rapidement, échouer intelligemment ». Cette société réussit profondément dans la capitalisation des apprentissages et des expérimentations.
Le magazine Fortune raconte l’histoire de Sheryl Sandberg, vice-présidente des Ventes et opérations internationales en ligne (Global Online Sales and Operations) chez Google. Elle s’est également impliquée dans le lancement de la branche philanthropique de Google, Google.org et dans Adwords. Elle commit une erreur qui a couté plusieurs millions de dollars à la firme. Tout ce qu’elle a dit à propos de son erreur fut : « bad decision, moved too quickly, no controls in place, wasted some
money ».
Lorsqu’elle prit conscience de l’ampleur de la perte, elle décida d’en référer à Larry Page, cofondateur de Google et actuel PDG. « God, I feel really bad about this » dit Sandberg à Page. Celui- ci après avoir accepté ses excuses lui rétorqua : « I’m so glad you made this mistake. Because I want to run a company were we are moving too quickly and doing too much- not being too cautious and doing too little. If we don’t have any of these mistakes, we’re just not taking enough risk. »
Nous comprenons, que la fibre d’entrepreneur de Larry Page rayonne dans toute l’entreprise. La prise de risque est une valeur fondamentale transmise par le management. En s’intéressant à l’entreprise on comprend rapidement que cette valeur est profondément incarnée par l’ensemble des collaborateurs largement encouragés à utiliser leurs compétences d’intrapreneur au quotidien. Google permet à ses collaborateurs de consacrer 20% de leur temps de travail au développement de projets personnels; certains seront alors vendus à leur entreprise. L’innovation et le goût des défis ambitieux sont au cœur de la culture de Google.
Cette philosophie de capitalisation de l’échec est largement partagée par l’ensemble des entreprises Anglo-Saxonnes qui ont très vite compris que « punir l’échec est le meilleur moyen pour que personne n’ose » (Jack Welch ancien président de General Electric).